mardi 13 avril 2010

Frôler la jungle

Andes teintées de blanc dans le rétroviseur, asphalte diablement déformée, chauffards, gémissements des poids-lourds, hautes steppes blondes cultivées, villages de terre et de briques, givre matinal, stations service gardées, fastidieuse négociation à chaque péage face aux arnaques de la police, lacets de montagne, chiens errants croquant des ordures, magnifiques tissus brodés, menus abondants de soupe, poulet, frites et riz, vente de diesel chez des particuliers, étales comptant de simples poignées de légumes, slogans peints aux couleurs de « Novillo gobernador » ou « Evo de nuevo », squares, piaillement des oiseaux, tourmente de nuages, fierté des riverains de Cochabamba de leur climat « ni trop chaud, ni trop froid ».

Un col encore et la route dévale au nord, à n'en plus finir, jusqu'au bassin de l'Amazone. Luxuriance tropicale, brumes, averses, failles géologiques, parois suintantes, lianes, hibiscus, roses de porcelaine, bananiers, palmiers, fougères arborescentes, ramures enchevêtrées, cascades, voie des rivières, serpents (dans des bocaux), rares moustiques, poissons, colibris, papillons blancs, blancs et noirs, marron piqueté, bleus frangés de noir, caligraphiés d'or, noir et rouge, orange, jaunes à bord orangé, noirs striés de jaune, verts... Concerts insolites, tiédeur moite, douces rives, délicieuse oisiveté.
Dans le parc Machia de Villa Tunari
des volontaires soignent des animaux échappés du marché noir. Perroquets, coatis, singes capuchinoaraña ou ardilla. Quelque charmant cousin fouille nos poches, ôte les scratchs de nos sandales, nous épouille, partage généreusement sa banane, enserre Marine d'autant plus affectueusement qu'elle hurle de terreur.
Les trancas, postes militaires, contrôlent l'accès à la plaine vallonnée de jungles et de coca, fief des barons de la drogue. Le griffonage « Francia » sur nos plaques californiennes ne suscite pas la bienveillance escomptée.

Remontée vers Cochabamba, désuets vestiges de charme de Tarata, collines arborées, paysans à la peau noire, sacs de légumes amassés pour les villes, dont Santaz Cruz, la plus importante du pays, habitat de terre, fours à pain, bœufs attelés, araires, ânes, cochons, mandarines, pommes, bananes, canne à sucre, chicha (boisson de maïs fermentée), tissages à dominance de rose, chapeaux, paires de tresses, pénurie (déroutante) d'indications routières, cascade de Incallajta, ancienne frontière orientale de l'empire inca, feria (marché) et mariages à la plaisante Totora, étoiles et éclairs, pleine lune, notre attelage comme un vaisseau nocturne sur les chemins.
Même armés de notre niña (petite fille) clamant « hola », son seul vocable, nous peinons à nouer des bavardages (avec les individus à jeuns), en langages quechua ou bolivien, un castillan marmonné avec un fort accent et ponctué de « no más » en chaque fin de phrase. Quel abîme nous sépare ?

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