mercredi 24 mars 2010

Patatra...

Arequipa. Calle Puno, parmi le grouillement des échopes de pièces détachées automobiles, nous dénichons en un temps record notre amortisseur de direction broyé le matin-même contre une méchante pierre. Grande ville embouteillée, jungle des taxis et colectivos (mini-bus de transport public), loi du plus fort (ça tombe bien, nous pesons près de six tonnes), pollution écœurante, recommandation de stationner tout contre la police. Place d'armes frangée de splendeurs coloniales, cathédrale de roches claires sur fond de volcans et azur, chapelles gorgées d'or, ancienne débauche de luxe, charmant couvent de Santa Catalina, jadis cité secrète dans la cité, manifestations de travailleurs réclamant davantage que 550 soles (140 euros) par mois.
Fin du désert de l'Atacama, qui poursuit son inclémence au long de la côte jusqu'à Lima, hautes steppes rases, pourtour de cônes enneigés, nuages,  vastes troupeaux de lamas aux oreilles pomponnées, paso Patapampa, à 4 910 m d'altitude, profond canyon de Colca, torrents, arbres, antiques cultures en terrasses, quinoa, eucalyptus, pommes de terre, belles églises, marcheurs, ânes bâtés, bétail, cochons à pois, herbe, fleurs, alpaga et infusions de coca au menu, habits traditionnels, coiffe, sac de toile dans le dos, accueil attachant, mysticisme, impérial vol des condors. Retrouvailles fortuites des tou la o.

Cependant, notre « bon ordre de marche » vacille. Trompés par un décalage horaire de 2 heures avec le Chili, une latitude décroissante et l'entrée dans l'automne, nous nous échappons trop tard d'Arequipa. Quête nocturne d'un bivouac, apparition de la pluie (nous en avions oublié l'apparence) et de brumes, phares aveuglants des poids-lourds, élévation imprévue. Dans les pueblitos (minuscules villages), avitaillements en eau et nourriture aseptisée difficiles.
La santé de l'équipage flanche : désordres intestinaux, nausées, vomissement, fièvre, mal de l'altitude, teint livide, œil vitreux, âme pantelante, fesses irritées de Marine au point de lui arracher des pleurs au seul mot de « couche », chute abyssale du moral. Le moindre tracas se mue en cataclysme, de la régurgitation de légumes à la panne d'allume-gaz, du vrombrissement de mouches à l'aterrissage de gourmandises dans l'eau souillée. Que demeure-t-il de notre magnificience ?
Thermes de Chacapi. Paresseux pataugeage au soleil, pour recouvrir l'authentique saveur de voyager.

mardi 23 mars 2010

C'est le Pérou !

Entrée péruvienne par Tacna. Légère appréhension comme à l'accoutumée : où trouverons-nous argent, diesel, échoppes, Wi-Fi et stationnement pour nourrir tirelire, véhicule, enfants, blog et tranquillité ?
D'emblée un premier parfum d'« Amérique du Sud », ainsi imaginée : chapeaux, longues nattes brunes, peau sombre, petite taille, robes tissées colorées, cireur, écrivain public, mille vendeurs dans la rue, musique andine. Ivresse de l'inconnu.

Grande gentillesse, sourires et « coucou » épars, foutoire routier, effort de propreté, pancartes édifiantes : « conduisez sur la défensive », « ne laissez pas de pierres sur la route », « ne brûlez pas de pneus », « démontrez votre savoir-vivre », « zone aérienne, explosion de missiles ».  
Désert et larges oasis, lits de rivières arrosés, irrigation, maïs, oignons, cactus, bananes, vaches laitières (dites « normandes » en France), moutons, chèvres, chiens.
Serions-nous d'ores et déjà rassurés ?

samedi 13 mars 2010

L'écume du désert


Paso (col et frontière) Jama, « corridor bi-océanique » charriant par camion des voitures neuves vers le Brésil, juxtaposition de plateaux s'élevant jusqu'à 4 800 m d'altitude (chaque monticule s'élève au-dessus du Mont Blanc), salars (étendues de sel), bivouac glacé au-dessus de l'Atacama, le désert le plus aride de la planète, plongeon vers l'oasis de San Pedro de Atacama. Village si charmant qu'il compte plus de touristes que d'habitants.
Route infernale, par la cuesta (côte) del diablo, jusqu'aux geisers de Tatio. Brûlants pour un bain au crépuscule et splendides à l'aube lorsqu'on gratte le givre au carreau pour en mirer les hautes vapeurs. Eglise picturale de Chiu Chiu.

Calama et Chuquicatama, la plus grande mine de cuivre du monde. Peu glamour. Ecolières en uniforme anglais, avec jupe et chaussettes de laine. Plaines de terre (parfaitement) sèche ou de cailloux, ponctuées de collines (parfaitement) pelées, lignes électriques, longues lieues sans manœuvrer le volant.
Cordillère côtière s'affaissant vers le Pacifique. Tocopilla, port industrieux, wagons miniers, désolation de l'infertile. 
Route litorale escarpée, relents de mollusques crevés, ordures toujours plus nombreuses, fruit de mer à 26 pattes, couleurs fabuleuses, versants de sable, champs de roches, clarté immaculée du guano.

Iquique. Au sud, une enfilade incongrue de panneaux publicitaires, pour beaucoup en anglais : « never hide », « never keep exploring », « eleve su productividad ». Au nord, une zone franche gigantesque, des entrepôts congestionnés et des boutiques de luxe par centaines. Au milieu, une grande ville, un clochard effondré sur le trottoir, que Sophie soigne, une droguée aguicheuse, frottée au véhicule, de belles vagues sur le sable blanc, des pasteles de choclo (galettes fourrées au maïs) et chumbeques (pâtisseries), une armada de taxis jaunes et noires, une dune majestueuse masquant des décharges. Aise et misère épouvantablement mal dissimulés.

Officina Humberstone, voyage en un ancien village minier, implanté de 1872 à 1960 : « Si vos betteraves parlaient, elles exigeraient du nitrate naturel du Chili ! ». Plaines, mirages troublants, apparitions fugaces de prés verts, géoglyphe du Géant d'Atacama, vallées profondement entaillées.
Arica, plaisirs balnéaires et confort de la douchette extérieure. Plongeon des pélicans en chasse dans l'écume et plages jonchées de plumes. Un jour de pluie tous les deux ou trois ans et les momies de huit millénaires de la vallée d'Azapa. Bouclage gastronomique autour d'une paila marina (court-bouillon d'ingrédients de la mer), goûtée pour la première fois en Terre de Feu, 5 200 km chiliens plus au sud (par la route), et méformes intestinales de toute la famille.

mardi 9 mars 2010

Coca y Bica

Dans le nord-ouest de l'Argentine, qu'annoncent les « coca y bica » des boutiques ? Les feuilles de coca, pour guérir tous les maux, que l'on roule en pelotte dans la joue, et le bicarbonate, pour en gommer des dents la noirceur. Les visages se font plus indiens, les habits plus criards, les vestiges plus coloniaux, les plaines plus célestes. La Bolivie s'approche à vol d'oiseau. 
De Salta, sous l'humidité des nuages, piste malmenée par l'eau, les récentes secousses telluriques et la délicatesse des poids-lourds jusqu'à San Antonio de los Cobres. Nouveau tracé de la ruta 40 dans des paysages étourdissants, viaduc du « tren de las nuebes (train des nuages) » à 4 200 m d'altitude, hauts plateaux arides, passages très délicats (adrénaline), cinq heures (de jour) sans croiser un véhicule, vent. Murets de pierres, toits de terre ou de chaume, cimetières, tissages en laine de lama, chapeaux plats à ruban, vigognes, moineaux verts, eaux thermales cristallines. A Susques, au kilomètre 4 800 (environ) de la route fétiche, nous bifurquons une ultime fois vers le Chili.  
Premières nuitées de notre petite famille en exposition au Mal Aïgu des Montagnes. Seul Bruno (le plus sensible) accuse de légères céphalées.

Bilan de notre sixième mois de voyage, de 3 000 km :
  • A améliorer : préférer la route et les embouteillages aux nuitées en ville, rester viligeant à l'égard des vols, remplacer les vêtements élimés de Sophie.
  • Les points faibles : notre « Pimpin » nécessite d'être rechargé quotidiennement (mieux que le barron Bic, Apple invente l'iPhone jetable : ses batteries ne s'achètent pas en magasin).
  • Les points forts : prédominance du beau temps et baignades, merveilleuses rencontres chiliennes, dépaysement, sentiment de vacances, remise à neuf des imperfections de notre demeure, glaces au congélateur et bières fraîches (pour les invités), excellentes évaluations scolaires de Romain, courriels de nos amis, Valparaiso, musée de Santa Cruz, magnificence de la ruta 40 et de ses environs.

jeudi 4 mars 2010

Route des plaisirs

Province de Catamarca, bourgade douce de Cafayate, sise dans un décor de charme, dont l'époustouflante quebrada (gorge) qui s'évade au nord vers Salta, emplie d'une pléiade de vacanciers sympathiques, en sandales et tee-shirts, pour la plupart sac sur le dos (comme nous lorsque nous étions jeunes), venus savourer l'ombre d'antiques demeures et la tournée des bodegas, fort nombreuses, promettant visite et dégustation de leurs cépages, désolemment éloignés de nos pêchers mignons. Bouteille d'Arcanus de la famille Nanni, « le meilleur vin d'Argentine » à savourer plus tard.

Sur la route, deux heures de pelletées pour nous dégager d'une promenade osée dans les dunes (que n'entreprendrions-nous pour le plaisir des enfants ?), confection de barages d'agrément sur les rares rios en eau, ânes et mules braiant fort soir et matin, fromages de chèvres, saussisson de lama, mouches, rustiques demeures en terre ombragées d'un préau sur colonnes, séchage au sol de nappes de piments, adorable restaurant El Rincon de Florida à Angastaco avec ses cartes postales et monnaies du monde entier de clients reconnaissants, riche estancia « Hotel y Bodega » Colome avec clients en hélicoptère et écoliers du village indien qu'elle possède (invraisemblable n'est-ce pas ?) trimballés en camion à benne, blanches rues coloniales de Molinos, menuiseries en cactus de l'église de Cachi, plongeon vertigineux et tropical vers Salta, échos sismiques nous balottant (prudemment), sentiment de plénitude, envie de mettre tant d'harmonie en fiolle pour s'en ennivrer plus tard.