vendredi 14 mai 2010

Monde de visages

Yavi Chico, charmant village de terre lové dans un canyon. Communauté de Chichas. La Quiaca, fondée il y a un siècle lors de l'arrivée du chemin de fer, aujourd'hui démantelé dans toute l'Argentine au profit d'un grouillement de compagnies de bus privées. Les premiers arrivés se servirent copieusement, rachetant aux Jésuites leurs concessions. Un ancien chercheur d'or de la Guyanne française s'est associé à un riche héritier pour ranimer l'exploitation minière. L'hiver, il voudrait prospecter dans la jungle bolivienne pour échapper au froid rude. 

Laguna de los Pozuelos, sanctuaire de flamants roses, steppe sauvage, lamas, vigognes. Soudaine vague de vent glacial, neige fraîche sur les montagnes. Courte contemplation des volatiles. Eileen Lacey et John Wicczorek, scientifiques californiens, étudient le comportement social d'un rongeur sous-terrain, qui ailleurs sur la planète vit solitaire. Bio-diversité.
Humahuaca, Tilcara, Purmamarca, anciens peuplements, vallée aux oniriques roches de couleur. Hôtels Posada del Sol et Quinta la Paceña, refuges de tiédeur. A l'écoute : Los Amigos, folklore de la région. Teintes automnales.

San Salvador de Jujuy. Altitude modérée, enfin, à 1 200 m. Révision générale chez Ford, remplacement des rotules d'une roue avant. Sept membres de la famille de Mario ont créé cette concession automobile, ainsi que d'autres commerces prospères. Tous médecins, ils apprennent les armes du négoce avant de fonder leur propre clinique.
Vastes plaines de canne à sucre au nord-est, rencontre de la faille des yungas, versants à l'exubérante végétation sub-tropicale. Parc de Calilegua, trempé, à 50 km à vol d'oiseau (flambant de couleurs) des collines arides que nous venons de silloner. Araignées, chenilles, lianes, abreuvoir des jaguars et pumas, champignons, brumes, oppression végétale. Entre excursions diverses et fête de mariage, Isaac profite de ses dix jours de vacances annuelles pour parcourir son vaste pays.

Ledesma. Usine de sucre et produits dérivés, affectant 70% des 80 000 habitants de Libertador General San Martin, capitale du département. Défilé, orchestres, danses, foire, feux d'artifice pour célébrer, le 25 de mayo, le bicentenaire de la patrie argentine.
Tasse de mate, ouvrant sur plusieurs jours avec l'adorable famille de Fátima et Fabian. Heures douces, échanges, découvertes, agrandissement de notre âme sur le monde. « el buey lerdo bebe agua turbia (le bœuf lent boit l'eau trouble) », « ternero que no bala no mama (le veau qui n'appelle pas ne tête pas) », « mas vale parajo en mano que cien volando (mieux vaut un oiseau en main que cent qui volent) ». Autant de raisons pour oser s'évader ?
La nuit, satanés passants criards, chiens, auto-radios et pots d'échappement ! Adieux sensibles.

Une grand-mère s'enquiert de notre nom. Son père s'appelait Lider. De parents allemand et polonais, il est venu de Varsovie, par l'Espagne, pour épouser une indienne de la quebrada de Purmamarca. Avec d'autres catholiques, elle prépare chaque jour un repas pour les pauvres de Fraile.
Cap au sud, brouillard, gauchos, fôrets de fleurs jaunes plus hautes que des camions, rapaces à crête rouge, plaines fertiles et arborées. Parfum non enivrant du retour.

De l'ordre, de la discipline !


Sud de la Bolivie. Un pont étroit. Nous sommes engagés pour le traverser. Un taxi arrive de l'autre côté, s'engage à son tour, accélère. Une fois bloqués au milieu, son chauffeur klaxonne, gesticule, déblatère : « reculez ! », « ce pont est réservé aux véhicules étroits », « sa rampe d'accès est trop pentue pour vous ». Accumulation de piétons et d'engins motorisés, vociférations. Débauche de cruelle stupidité, scène de la vie ordinaire.

Appartement d'une ville nord-américaine. Un vieil homme fluet berce son petit-fils dans ses bras. L'histoire bolivienne le cite parmi les leaders des coups d'états militaires réformateurs du XXème siècle. Il complimente Bruno sur sa taille : « j'aurais aimé te joindre à ma garde personnelle ».

Nom d'une Pachamama, déesse de la terre, quel régal cela eut été alors de (tenter de) mettre au pas un tel ramassis d'arrièrés ! Plus sérieusement, merci à tous ceux qui ont témoigné face à nous d'une once de jugeote. Puissent-ils un jour faire rayonner les splendeurs de leur pays.

Route éblouissante vers Tupiza. A la frontière avec l'Argentine, entre les villes de Villazon et La Quiaca, une cohorte de pauvres bougres et bougresses ploie en trottinant sous de lourdes charges, se substiituant à d'onéreuses mules. Soudain apparaissent mille étrangetés : le nécessaire pour nettoyer les parebrises dans les stations-service, des engins à cadran et aiguille pour mesurer la pression des pneus, des feux tricolores exerçant une influence sur la circulation, les produits frais stockés pour la plupart dans des réfrigérateurs... Comme il est intéressant de voyager.

dimanche 9 mai 2010

Mer blanche, bis repetita


Belle route vers Uyuni, ville de garnison perdue, morne et cahotique, confite d'agences de voyage. Quête de renseignements : itinéraires, état des routes, difficultés, points de ravitaillements. Préparatifs à la hâte. Deux bidons de diesel de secours imprègnent notre maison d'un parfum de bateau. Charmante tablée de 15 Français à la pizzeria Toñito (tenue par un nord-américain) avec les lorthimoines et ulysseandco. Frissons de l'hiver, mordant en juin.

Plongeon sur le salar, prodigieuse, blanche et gigantesque étendue salée, frangée de montagnes, étincelante sous le ciel pur, peuplée d'îles aux cactus. 3 660 m d'altitude, millions de traces crissant sous les roues, vraie ambiance de sports d'hiver, infini rêve.

Plusieurs heures de piste au sud jusqu'à San Juan, bourg de mille habitants, avec un téléphone et l'électricité quotidienne de 19 à 21 heures, affairé par la récolte actuelle de la quinoa. Impossibilité d'acheter du carburant, quand la piètre qualité du diesel, les hautes altitudes et les zones de franchissement augmentent notre consommation de 25% à 50%, rencontres de chauffeurs de Land Cruiser échaudés par la rigueur du terrain et de touristes ayant éprouvé 20 degrés en dessous de zéro et gravi la neige jusqu'à 5 000 m d'altitude. Incertitudes sur notre capacité à rallier Tupiza par les « lagunas », craintes de nous aventurer si loin seuls, triste renoncement, d'autant que bien des véhicules moins robustes que le nôtre s'engagent dans l'aventure. Demi-tour résigné vers le salar.
Les stations de lavage d'Uyuni éradiquent le sel accumulé sur les mécaniques et pulvérisent du diesel préventif. Notre attelage éblouit les foules, les offres d'achat abondent (mais il est réservé).

Rues et routes barrées n'ont pas pour coutûme d'être signalées. Deux jours consécutifs, lors de subtiles manœuvres d'échappement, Bruno abbat un poteau électrique. Romain suggère d'entreprendre notre prochain périple avec un véhicule sembable à celui de Doc dans « Retour vers le futur 2 », qui vole, pour nous soulager des vibrations de la tôle ondulée, et carbure aux ordures, si abondantes alentour. 

Bilan de notre huitième mois de voyage, de 2 100 km :
  • Les points faibles : la difficulté d'échanger avec les habitants, l'épuisant désordre bolivien, le manque d'hygiène, les routes difficiles, l'abandon du Sud Lipez, les calculs entamés pour la fin de notre voyage.
  • A améliorer : sécuriser nos bivouacs, quitter l'Altiplano pour recouvrer souffle et chaudes nuitées.
  • Les points forts : la douce harmonie de notre famille en chemin, notre séjour tropical dans le Chapare et la proximité des singes, le folklore et les traditions, le beau-temps, la gentillesse des instituteurs de Pelca, un voyage au ralenti, Sucre, les mines de Potosi, le salar d'Uyuni.

dimanche 2 mai 2010

Developpement non durable


Potosi, de 1545 à 1825, une ville parmi les plus importantes et les plus riches du monde. Au cœur de l'alchimie, le Cerro Rico, une montagne gorgée de minerais précieux. En aval, tant de richesses extraites qu'on aurait pu bâtir un pont en argent jusqu'à l'Espagne et continuer d'en combler le royaume. En amont, huit millions d'esclaves indiens et noirs, anéantis à la tâche.
Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? De misérables mineurs associés en coopératives, rêvant de découvrir l'ultime filon et s'épuisant dans d'antiques conditions que les touristes visitent abasourdis. Au fond, le Tio, diable en érection aux yeux verts, dévotement pourvu en coca, alcool pur et mégot d'eucalyptus. Alentour, les vestiges de la folle splendeur, la sale poussière et le froid du vent.

Thermes de Tarapaya. L'eau chaude jaillit au fond du cratère, troublant de brumes et de remous la surface. Un prémisse de paradis.